Saturday, February 18, 2012

Vietnam: la tension monte autour des expropriations de terres

Doan Van Vuon et sa famille ont blessé quatre policiers et deux soldats dans des affrontements en janvier, depuis lesquels il est détenu avec trois autres personnes. (AFP Hoang Dinh Nam)
HANOI (AFP) - Les expropriations de terres sont sources de tensions depuis des décennies au Vietnam, mais la température est brusquement montée d'un cran depuis qu'un paysan s'est barricadé dans sa maison, avec mines et arme à feu, pour tenir tête aux forces de l'ordre.

Doan Van Vuon et sa famille ont blessé quatre policiers et deux soldats dans des affrontements en janvier, depuis lesquels il est détenu avec trois autres personnes.

Mais ce rarissime acte de rébellion lui a apporté le soutien qu'il espérait le moins: l'autoritaire Premier ministre du régime communiste.

La semaine dernière, Nguyen Tan Dung a en effet promis des sanctions contre des responsables locaux corrompus, jugeant "illégale" l'éviction forcée du pisciculteur et la destruction de sa maison.

La preuve, selon les experts, que le pouvoir redoute le caractère explosif du dossier, dont on trouve des avatars dans toutes les provinces du pays et derrière lequel fleurit la corruption et l'abus de pouvoir.


Le régime a entamé à la fin des années 80 une difficile transition vers l'économie de marché. Et depuis 1993, les Vietnamiens ont le droit d'acquérir pour vingt ans un "droit d'usage de la terre", qui demeure de facto propriété de l'Etat.

Des millions de paysans sont depuis, comme Vuon, à la merci des responsables locaux, qui peuvent récupérer des terrains au nom du très vague "intérêt public", puissant terreau pour la distribution d'enveloppes bien remplies.

Le dossier du pisciculteur de Haiphong (nord) constitue le "paradigme de tout ce qui ne va pas avec le système foncier" vietnamien, estime David Brown, diplomate américain à la retraite et spécialiste de la région.

Plus de 70% des plaintes déposées contre les pouvoirs locaux dans le pays sont liés à des litiges fonciers, et la crise ne peut qu'empirer en 2013, lorsque des millions de baux vont arriver à terme.

"Ce dossier est fondamentalement une question de survie pour le régime", ajoute-t-il.

Ni un amendement constitutionnel qui légaliserait la propriété privée de la terre, ni une refonte profonde du droit foncier ne sont envisageables à court terme, relève de son côté Carl Thayer, expert du Vietnam à l'université de New South Wales en Australie.

"Il s'agit là d'un dossier explosif qui peut diviser le pays. On n'imagine pas beaucoup de gens prendre les armes mais il y a eu des incidents violents, des bureaux de districts brûlés, des gens qui se déplacent en groupe à Hanoï".

En 1997, des dizaines de milliers de personnes avaient manifesté dans la province de Thai Binh (nord) après un scandale foncier. Des commissariats de police avaient été attaqués et des bâtiments publics incendiés. Un souvenir "qui pèsera dans l'esprit de tout le monde", assure le chercheur.

Ces dernières années, de nombreuses manifestations ont été organisées dans les grandes villes du pays sur des dossiers similaires. En 2007, ils étaient des milliers à Ho Chi Minh-Ville (ex-Saïgon, sud) à dénoncer la saisie de terres pour faire place à un centre commercial.

Nguyen Tan Dung a admis vendredi que la législation était "vague, parfois même contradictoire". Il a demandé à la justice d'accorder des circonstances atténuantes à Vuon qui, selon des sources officielles locales, récupérera son terrain.

En attendant, deux fonctionnaires locaux ont été démis de leurs fonctions mais les villageois sont en colère. "Les autorités avaient tort mais c'est la famille de Vuon qui est accusée," relève une paysanne de 50 ans résumant, sous couvert de l'anonymat, l'opinion générale.

Un voisin espère que la cour saura être magnanime."Vuon n'avait rien à perdre. Et vraiment, nous sommes tous dans la même situation. Pourquoi l'ont-ils traité comme ça ?".

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