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Friday, January 16, 2009

Interview with Sam Rainsy, Cambodian MP - Entretien avec Sam Rainsy, député cambodgien

KI-Media note: Luc Sâr is currently working on an English translation of this article.

mercredi 14 janvier 2009
par Emmanuel Deslouis
Eurasie.net


« Il faut faire du Cambodge un état de droit »

Chef de l’opposition au Cambodge, le député Sam Rainsy a publié l’année dernière son autobiographie "Des racines dans la pierre". Un récit très direct qui éclaire les soubresauts du Cambodge de ces cinquante dernières années. Sam Rainsy a accepté de nous en parler en détail, et d’évoquer sans tabou tous les problèmes qui rongent ce pays magnifique.

Eurasie : Comment vos détracteurs vous dépeignent-ils au Cambodge ?

Sam Rainsy : Le PPC, le parti du premier ministre Hun Sen, dit que je vais amener le bouleversement. Ils veulent effrayer les gens en les menaçant « Si Sam Rainsy vient au pouvoir, cela va tout bouleverser ». Il est vrai que je suis contre le pouvoir actuel et le statu quo synonyme d’injustice. Quand j’avance une réforme agraire, on dit que Sam Rainsy va prendre aux riches pour donner aux pauvres, nivelant tout le monde par le bas "comme sous Pol Pot", alors que je veux seulement donner la terre à ceux qui la cultivent. Entre paysans affamés d’un côté et nouveaux seigneurs féodaux et spéculateurs fonciers de l’autre, je soutiens le camp des premiers. Mais le PPC m’accuse d’être un "incitateur" derrière les "fauteurs de troubles".

Eurasie : Quels sont les piliers de votre électorat ?

Sam Rainsy : Les paysans sans terre et les ouvriers. Ils sont très maltraités et exploités. Les plus défavorisés soutiennent généralement mon parti. Mais il y en a aussi qui soutiennent le parti de Hun Sen : La plupart du temps, ce n’est pas leur esprit qui adhère au PPC, mais leur estomac. Tellement pauvres qu’ils vivent au jour le jour. Ils écoutent Hun Sen qui leur dit « Sam Rainsy ne vous donne rien à manger, nous, nous vous offrons un sac de riz qui va vous permettre de vivre plusieurs jours ». Je répondrai que mon parti n’offre pas de sac de riz mais une vision et un espoir. Cela n’empêche pas qu’auprès de gens très pauvres, mon discours ne prend pas toujours, alors Hun Sen arrive à les « attraper ».

Eurasie : Quel électorat captez-vous le mieux ?

Sam Rainsy : Les jeunes et les milieux éduqués. Des études montrent aussi que lorsque le niveau de vie s’élève, les gens votent davantage pour nous que pour le parti au pouvoir. Ils votent alors non plus avec l’estomac mais avec leur tête ou… avec le cœur.

Eurasie : Qu’est-ce qu’on apprécie chez vous au Cambodge ?

Sam Rainsy : Peut-être le courage de s’opposer à des forces dominantes et la fidélité à des principes. Des gens nous disent « Pourquoi se cogner à une pierre ? ». L’Etat-PPC a tout (argent, force armée, pouvoir). Pourquoi persévérer contre eux ? Parce que nous devons maintenir nos convictions et nos principes, malgré les assassinats, la prison, l’exil de militants. Et ça marche : le nombre de nos voix, de nos bulletins, continue d’augmenter d’une élection à l’autre malgré les intimidations, la triche et les achats de votes, et cela depuis plus de dix ans.

Eurasie : Lutter contre la corruption au Cambodge, quand on est ministre des finances, c’est comme vider l’océan à la petite cuillère, non ?

Sam Rainsy : C’est très dur, ça risque de prendre beaucoup de temps, mais je ne désespère pas. Ceci dit, se confronter à la force brutale et à ce mur de l’argent, c’est très difficile, mais j’espère réussir durant mon existence.

Eurasie : L’attentat est une autre façon de faire de la politique au Cambodge ces dernières années. Vous et vos supporters l’avez douloureusement expérimenté. Comment expliquez-vous cette impunité ?

Sam Rainsy : Cela vient du traumatisme consécutif au génocide perpétré par les Khmers rouges. Quand ils massacraient les gens par milliers. Les gens ont vu des tueries à grande échelle. Traumatisés, terrorisés, ils se taisent. Toutes ces horreurs ont eu lieu en toute impunité. Et le régime actuel est constitué d’anciens Khmers rouges.

Eurasie : Croyez-vous que le tribunal khmer rouge va aboutir à quelque chose de constructif ?

Sam Rainsy : S’il aboutit rapidement, peut être. Sinon… vous savez, dans dix ans, les principaux suspects, déjà âgés, seront tous morts, alors le gouvernement laissera juger des morts. Ce sera un travail d’histoire, non plus judiciaire. Si le jugement arrive vite, cela risque d’éclabousser des gens, des dirigeants jusqu’aux chefs de district du temps de Pol Pot qui occupent des positions beaucoup plus élevées maintenant. Ceux-ci ont peur d’un vrai tribunal qui progresse vite. Le gouvernement fait donc traîner les choses pour retarder la procédure judiciaire. Et je pense que la communauté internationale commence à s’en rendre compte !

Eurasie : Il y a bien eu Nuremberg en Allemagne.

Sam Rainsy : Oui, car la situation n’était pas la même. Imaginez l’Allemagne au lendemain de la guerre avec tous ses anciens chefs, à l’exception de Hitler, toujours au pouvoir, y aurait-il eu Nuremberg ? Non, il y aurait eu un simulacre de procès, comme au Cambodge aujourd’hui.

Eurasie : Pensez-vous comme le père Ponchaud que ce procès est incomplet puisqu’on ne juge pas les grandes puissances qui ont appuyé le régime ?

Sam Rainsy : A mon avis, il faut cerner, baliser l’accusation, sinon on ne peut rien faire. Il faut identifier les cerveaux et des échelons juste en-dessous, comme les commandants de région. Juger les Américains, l’Occident, l’Asean, qui les ont soutenu après, ce n’est pas la même chose. Il faut se concentrer sur 1975-1979.

Eurasie : Dans votre autobiographie, on suit vos sentiments changeants à l’égard de Norodom Sihanouk. D’abord révolté, lorsqu’il écarte sans ménagement votre père et qu’il fait mettre en prison votre mère, puis admiratif dans les années 1980, lorsqu’il fait figure de rassembleur. Rétrospectivement, que pensez-vous aujourd’hui de son attitude ?

Sam Rainsy : C’est un personnage complexe qui a su naviguer sur des mers agitées et par des temps difficiles. Qui a vu juste pour certaines choses mais qui s’est trompé pour beaucoup de choses. Il le reconnaît lui-même. Il avait dit « Celui qui peut rouler Sihanouk n’est pas encore né ». Il s’est trompé car il aurait pu reconquérir le pouvoir et préserver le Cambodge d’un PPC au service de l’étranger et de la mafia. Mais il est aujourd’hui un roi-père impuissant devant Hun Sen qui fait ce qu’il veut. Globalement, il n’a pas su manœuvrer comme il aurait pu pour asseoir la démocratie au Cambodge, comme le prévoyaient les Accords de Paris. Les non-communistes se sont faits avoir par les communistes ou néo-communistes mafiosi. Quand Sihanouk a voulu revenir au pouvoir, Hun Sen a refusé, et son fils Ranariddh, aussi. Ce dernier est d’ailleurs le principal fautif, il a laissé échapper cette occasion par incompétence et corruption.

Eurasie : Quelles qualités trouvez-vous à Sihanouk ?

Sam Rainsy : Son patriotisme intransigeant et sa probité. C’est pour cela que je le respecte.

Eurasie : A force de vouloir faire des compromis, d’abord en prenant le parti des khmers rouges puis en ménageant Hun Sen n’a-t-il pas poussé le pays vers le chaos ?

Sam Rainsy : Sihanouk est resté dans ses habitudes, selon lesquelles il était le père de tout le monde, qu’il pouvait réunir tout le monde. Quand il était roi, c’était le cas. Il pouvait être le grand rassembleur. Mais quand il a pensé pouvoir faire la même chose avec Hun Sen et le PPC, il a donné des titres royaux à des anciens communistes, pensant intégrer ces personnages sous son aile. Mais ça n’a pas marché. De ce point de vue, il s’est trompé. Le monde a changé, il s’est trompé d’époque.

Eurasie : Tout comme au Vietnam et au Laos, le Cambodge est encore sous la coupe de dirigeants communistes des années 1980. Et ce malgré l’échec patent de leur politique. A quoi attribuez-vous cela ?

Sam Rainsy : Il y a une corrélation étroite entre dictature et échec économique. Si vous prenez les pays qui ont les mêmes dirigeants au pouvoir depuis des décennies, ce sont généralement les plus pauvres. Il n’y a pas de possibilités de changement. Les abus et la corruption, c’est ça qui fait que ces pays restent arriérés. A l’inverse d’une bonne gouvernance, d’un état de droit. Ce n’est pas forcément une question d’idéologie. Ce sont des hommes qui se cramponnent au pouvoir. C’est un cercle vicieux : puisqu’ils ont commis des méfaits pendant les premières années, ils doivent se maintenir au pouvoir sinon ils perdent tout. Jusqu’au jour où tout explose.

Eurasie : Il y a quelques années, l’actrice Piseth Pilika a été assassinée en plein Phnom Penh et en pleine journée. On a su le fond de l’affaire, non par la presse cambodgienne, mais par la française : de hauts dirigeants seraient impliqués. La crainte était trop forte de dénoncer publiquement par peur de représailles. Les médias sont-ils toujours muselés ou y a-t-il une ouverture ?

Sam Rainsy : Il faut distinguer deux sortes de médias : la presse écrite et l’audiovisuel. Dans la presse, il n’y a pas de censure mais des assassinats de temps en temps ! Vous constatez donc qu’il y a une presse relativement libre, même si cela se fait à ses risques et périls. C’est la façade démocratique car la presse écrite atteint à peine 1 % de la population. Le plus fort tirage ne dépasse pas 20 000 exemplaires. Le principal journal : Rasmei Kampuchea, « lumière du Cambodge », journal du PPC. Sinon, il y a environ deux cents titres et la plupart sont tirés à une centaine d’exemplaires. Si on touche, dans ces conditions, seulement 1 %, autant dire que ce n’est rien.

Eurasie : Et l’audiovisuel ?

Sam Rainsy : Les médias sont contrôlés par le parti au pouvoir. Il y a sept chaînes de télévision, toutes directement ou indirectement contrôlées par le PPC. Il y a environ 3 radios sur une vingtaine, qui sont relativement indépendantes. Mais elles ne couvrent pas tout le pays. Donc, quand on parle des médias, le tableau est trompeur.

Eurasie : Il y a actuellement un conflit entre le Cambodge et la Thaïlande à propos d’un temple à la frontière des deux pays, Preah Vihear. Chacun le revendique. Sans entrer dans les détails ni les arguments des uns et des autres, ne croyez-vous pas que le conflit a été instrumentalisé du côté thaï comme du cambodgien par Hun Sen à des fins électorales. En déchaînant la fibre nationaliste, ce dernier a fait oublier tous ses défauts le temps de la campagne électorale pour les législatives ?

Sam Rainsy : Oui, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dites. Chacun défend les intérêts de son pays, au nom de causes nobles. Les Thaïlandais savent s’adapter. Pendant la colonisation, pour contrer les Français, ils ont bénéficié du soutien des Britanniques. Pendant la seconde guerre mondiale, ils se sont alliés aux Japonais. Ils savent s’adapter pour l’union nationale, la tension actuelle peut aider les Thaïs à se rassembler et à refaire leur unité.

Eurasie : et pour le Cambodge ?

Sam Rainsy : C’est clair et net, on cherche à créer une tension avec un pays limitrophe. Ainsi, rappelez-vous qu’en janvier 2003, juste avant les législatives de juillet de la même année, il y a eu des émeutes contre les Thaïs. Ensuite, Thaksin et Hun Sen ont conclu un deal. Le premier veut lancer un projet de développement à Koh Kong.

Eurasie : Dans quel but ?

Sam Rainsy : Probablement pour avoir une base politique avant de reprendre le pouvoir en Thaïlande. Il a donné de fausses assurances à Hun Sen, notamment à propos du temple de Preah Vihear. Pour Hun Sen, c’est commode, cela permet de détourner les problèmes de l’est (le Vietnam) vers l’ouest (La Thaïlande).

Eurasie : Vraiment ?

Sam Rainsy : Oui, il y a des problèmes frontaliers entre le Vietnam et le Cambodge. Les Vietnamiens grignotent le territoire cambodgien me disent les paysans des provinces de l’est que j’ai rencontrés en tant que député. Hun Sen ne veut pas qu’on en parle, sous menace de « cercueils » pour les bavards. Eh oui, Hun Sen reste sous l’influence vietnamienne, discrète mais solide. Il y a toujours des conseillers vietnamiens. Même ceux des années 1980 restent dans l’entourage de Hun Sen. D’ailleurs, pour un oui ou pour un non, il prend son hélicoptère pour le Vietnam, c’est à quelques dizaines de km de sa résidence.

Eurasie : Donc, le Cambodge est grignoté par le Vietnam et la Thaïlande ?

Sam Rainsy : Au fil des siècles, nos deux voisins de l’est et de l’ouest ont voulu avaler le Cambodge. On aurait disparu sans l’intervention de la France en 1863. C’est le roi Ang Duong qui a fait appel à Napoléon III. Vietnam et Thaïlande (ou Siam) se sont souvent battus par cambodgiens interposés.

Eurasie : Votre parti politique a remporté la seconde place en terme de sièges derrière le PPC de Hun Sen en juillet dernier. Comment analysez-vous ce résultat ?

Sam Rainsy : Lisez le rapport final de la mission européenne. En un mot : ces élections ne sont pas conformes aux normes internationales. On ne peut être plus clair. Les résultats seraient beaucoup plus favorables à l’opposition que nous représentons si les élections étaient plus honnêtes. Il y a un ras-le-bol général qui va à l’encontre du PPC.

Eurasie : Quel bilan tirez-vous de vos années passées au gouvernement ?

Sam Rainsy : Toutes les réformes essentielles sont restées lettre morte.

Eurasie : Comment décririez-vous le personnage de Hun Sen ?

Sam Rainsy : Un animal politique qui a très bien réussi à une chose : survivre à la tête de l’état cambodgien. Son génie : la survie en se cramponnant au pouvoir par des intrigues politiques qu’il résout avec une main de fer, et cela depuis presque 30 ans. Mieux que ses maîtres vietnamiens. En contrepartie, quand vous n’avez que cette ambition, rester au pouvoir pour l’impunité qu’il procure, c’est catastrophique pour le pays, le grand petit chef n’a aucune vision pour le Cambodge. L’intérêt d’un homme ne se confond pas avec les intérêts du pays.

Eurasie : Quelle action entendez-vous avoir désormais au Parlement ?

Sam Rainsy : Agir par tous les moyens légaux, démocratiques, pacifiques, législatifs… ça va être difficile puisqu’on ne nous accorde aucun droit. Mais je pense que ce régime va imploser, une implosion précipitée par la crise internationale. C’est beaucoup plus grave qu’on ne le pense. Personne n’est l’abri d’une tempête mondiale surtout quand on est un petit pays très dépendant du reste du monde comme le Cambodge. Surtout aussi quand ce pays est géré comme il l’est. Il y a déjà une crise immobilière qui s’aggrave au fil des mois. Le vent tourne, les prix agricoles et les revenus des paysans s’effondrent, les chantiers s’arrêtent, les usines ferment. Chez les tenants de l’establishment, il n’y a qu’une unité de façade, ils vont se dévorer entre eux quand la crise économique va se dégénérer en crise sociale et politique. Parfois, il y a des révélateurs dans l’histoire, cette crise en est sûrement un.

Eurasie : Dans votre livre, on sent combien votre engagement politique et celui de votre femme est important. Comment vos enfants voient-ils votre engagement politique ?

Sam Rainsy : Cela varie selon mes trois enfants. L’aîné a suivi notre cheminement depuis le tout début, il comprend. La cadette a été plutôt traumatisée, elle est restée en France loin de nous. La troisième, qui nous a suivi au Cambodge, en a retiré une expérience forte de la vie. Elle est la plus attachée au Cambodge, elle y a vécu de 5 à 15 ans.

Eurasie : N’avez-vous pas la tentation de revenir en France, vu l’ampleur de votre tâche ?

Sam Rainsy : J’ai une mission à remplir au Cambodge. Mais je reconnais que quand je suis en France, je me sens bien car c’est un état de droit. Quand on n’y vit pas tout le temps, on ne s’en rend pas compte. Mon but : faire du Cambodge un état de droit. Ne plus avoir peur, ne plus se courber, l’égalité devant la loi, les mêmes droits pour tous. En France, on se sent en sécurité, on a confiance, on a de l’espoir. Ce qu’on a pas au Cambodge.

Propos recueillis par Emmanuel Deslouis